L’homme du carrefour
« Il est rare qu’un itinéraire ne soit pas jalonné de carrefours où la perplexité fait place à la certitude. Dans cet espace du doute, j’ai souvent trouvé une sorte d’émissaire du destin pour me désigner un chemin favorable, ou bien encore un passeur reliant la rive marquant le déclin d’une quête à celle du renouvellement.
Il me vient en mémoire ce 24 décembre 1968. Le jour basculait pour ouvrir la nuit du réveillon à la liesse générale. Je n’avais quant à moi qu’une profonde meurtrissure due à l’incapacité où je me trouvais d’offrir un peu de joie à ma famille. Nous n’avions plus un sou et les objets d’artisanat en fer forgé que j’avais créés et sur lesquels je comptais ne s’étaient pas vendus, en dépit de nombreuses démarches. C’est avec découragement que je risquai une ultime tentative auprès d’un « original », créateur d’un petit musée plein de bizarreries. Serge Tékielski consentit à acheter au « caraque » qui se présentait à lui un miroir enchâssé dans un cercle de fer. C’est avec les cent francs perçus que ma famille put se joindre un peu à la gaieté ambiante.
Cette rencontre somme toute anodine devait au cours des années se transformer en préambule à une amitié large et profonde. Candide, comme il aime à être appelé, fut l’homme du carrefour. Il créa avec des amis qui sont devenus les miens une association : « Racines », favorable aux expressions culturelles avec la devise voltairienne : Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu’au bout pour que vous puissiez le dire. » Pierre Rhabi – Du Sahara aux Cévennes. Itinéraire d’un homme au service de la Terre-Mère.
Dans ce terreau de lectures telles que « Vers la sobriété heureuse » ou « La puissance de la modération » et bien d’autres, ont germé des idées et poussé des projets…
D’une détermination à chercher son propre ajustement aux valeurs que nous souhaitons partager, vient l’engagement dans des actions qui se posent naturellement comme des évidences, puis le cadeau de la coïncidence des rencontres.
Le confinement a fait naître des possibles à travers cette prise de conscience de cette chance d’habiter à la campagne et de posséder un terrain agricole de presque 2 hectares. Connexion à cette nature qui nous régénère, nous connecte à nos essentiels et nous ancre dans cette conviction qu’il nous faut la protéger pour les générations à venir.
Nous y regardions jusqu’alors les vaches d’un agriculteur voisin y brouter paisiblement. Puis, nous avons rêvé maraîchage en permaculture, souhait d’autonomie alimentaire,… pour nous rendre à l’évidence que notre temps n’était pas extensible et que nous ne souhaitions pas faire notre 180° en changeant de vie.
Comment concilier notre désir de conserver nos métiers de service et notre souhait de production d’une alimentation saine et respectueuse de l’environnement qui la génère ?
Nous découvrons alors le concept de « jardin-forêt » ou « forêt comestible ». Une forêt qui a du jardin les côtés culture, agencement, production nourricière et un jardin qui a de la forêt les côtés densification, collaboration entre espèces, exploitation sur différentes strates et auto-régénération. Le tout à visée comestible.
Notre jardin-forêt s’appelle le Projet permacole du Pré Don. Il a été conçu comme un écosystème végétal étagé favorisant la biodiversité et est conçu selon les critères suivants :
– Il est résilient, pérenne, autrement dit, conçu pour durer ;
– Il est auto-suffisant, autrement dit, conçu pour se suffire à lui-même grâce aux associations végétales complémentaires ;
– Il est conçu sur le concept du win-win, autrement dit, il participe à une économie régénérative en générant plus de ressources qu’il n’en consomme ;
– Il se base sur les principes de la permaculture humaine : soin de soi, des autres et de la Terre.
Après un an et demi d’observation (canopée existante, orientation, vents dominants, poches de froid,…) et de design (placement des chemins, des mares, des lieux de détente, des associations d’arbres et de plantes,…), nous avons débuté les plantations en novembre 2020. A ce jour, plus de 250 espèces constituent la strate arborescente, arbustive et grimpante. Nous travaillons actuellement sur les strates herbacées, couvre-sol et aquatique.
Ce projet enthousiasme, interpelle, questionne et, petit à petit, un réseau se crée et un cercle d’abondance se met en place.
Avec 4 partenaires, nous répondons à un appel à projet de la Région wallonne (Belgique) sur la relocalisation de l’alimentation en Wallonie. En décembre, nous apprenons que notre projet « De la Graine à l’Assiette » est retenu.
C’est un projet de modélisation réplicable, axé sur l’éthique et les principes de la permaculture, qui répond à la question : « Comment nous nourrissons-nous vraiment ? ». Nous nous sommes fixé trois pôles : produire, transformer et transmettre. La production est représentée par le partenaire porteur de projet : A la Main Verte qui assure la production maraîchère en permaculture et par le Projet permacole du Pré Don qui soutient le côté modélisation expérimentale par la création de son jardin-forêt comestible. La partie transformation est assurée par 3 traiteurs : Emmanuel Meunier qui développe le concept de cuisine holistique en lien avec la nature, Manu Petrucci qui est le créateur de Toscana in Bocca et Claire Célis, fondatrice Des Délices de Claire. Et enfin, le pôle transmission est assuré par versO, une école holistique qui donne des formations liées au bien-être et à la santé en rapport avec la nature.
Ensemble on se sent plus fort pour aller plus loin, et chacun à travers ses spécificités contribue à un collectif qui porte des valeurs comme l’alimentation saine, vivante et locale, la pérennité, la résilience, la gouvernance partagée, la pédagogie transversale et une rémunération équitable.
« En 2022, célébrons ce qui nous rend vivant : la Terre, la biodiversité, la joie, le partage, la générosité et l’optimisme » Fondation Nature & Découvertes
Alors, sur les chemins du renouvellement, à travers les carrefours de nos vies, de qui serons-nous le passeur cette année ?