Expérimentation
L’agriculture syntropique est une forme d’agro-foresterie développée par Ernst Götsch. Sa force réside dans son alignement avec le pouvoir de la succession écologique. Ce phénomène est la dynamique spontanée que suit la nature pour régénérer des paysages dégradés, transformant une terre stérile en une zone fertile et couverte d’une végétation dense.
Ernst a découvert que ce procédé évolutif est mené grâce à la coopération des différents êtres vivants d’une manière qui profite au système dans son ensemble. Nous sommes donc ici quasiment à l’opposé de la vision Darwinienne de l’évolution, vue comme menée par la compétition. Cependant, ce qui est considéré comme de la compétition ou de la destruction au sein d’un environnement naturel est en fait une tentative de se déplacer vers l’équilibre, de façon bénéfique pour tout l’écosystème.
Avec cette nouvelle façon de voir l’agriculture, une ferme est donc une unité intelligente et un organisme vivant qui est voué à évoluer dans le temps. Pour que cela puisse se réaliser, de nombreuses et complexes interactions vont se produire entre les plantes (et les animaux), et tous les êtres vivants vont jouer un rôle important dans ce processus. Quand ces synergies sont facilitées et amplifiées par un agriculteur, la ferme se transforme alors en un organisme fort, sain et résilient.
L’agriculteur doit ainsi cultiver certaines plantes qui participent à la fertilité du système, sans toutefois attendre d’elles une production commerciale. Ces végétaux sont appelés plantes et arbres à « biomasse ». L’agriculteur va aussi placer des cultures à destinée commerciale dans son système. Nous les appellerons plantes et arbres
« cibles ». Cette combinaison de plantes poussent ensemble étroitement, de manière mutuellement bénéfique. L’agriculteur doit avoir une compréhension profonde de comment la taille et la coupe des plantes permet de stimuler leur croissance, et doit donc savoir user de ces pratiques à des moments stratégiques.
Après plusieurs années, le système devient quasiment auto-suffisant. Il peut produire sa propre irrigation, ses propres fertilisants et lutter contre les plantes indésirables et les maladies. Il n’aura plus besoin que d’un certain entretien de la part de l’agriculteur.
Comment va-t-il résister de lui-même aux maladies ? Et bien cela fonctionne de la même manière qu’une flore intestinale saine. Quand les humains abritent une solide communauté de micro-organismes au sein de leur système intestinal, il n’y a plus de place pour des agents pathogènes. Il en va de même pour une ferme en bonne santé. Pour que cela fonctionne bien, il faut que le système regorge de vie. Il faut une densité de biodiversité bien au-dessus de la moyenne, comme au sein d’une forêt saine. Quand on arrive à ce stade de vitalité, la ferme peut résister aux maladies et produire en abondance. L’agriculteur se doit seulement de construire son système avec une vision détaillée « long-terme », et gérer son évolution vers la maturité grâce à une utilisation stratégique de la taille et de l’élagage. L’organisme de la ferme se chargera du reste.
L’agriculture syntropique repose sur des schémas de plantations intelligents, bio-diversifiés et denses. Ces plantations sont menées en consortiums. Le terme consortium désigne des associations à la fois d’arbres et de légumes qui poussent en coopérant entre eux. On peut le comparer aux plantations associées et en inter-rangs, mais en plus complexe car il prend en compte le rôle des plantes selon la succession écologique.
Etant donné que le système repose sur la succession écologique, l’association des plantes qui font bien ensemble sont regroupées selon le même cycle de vie. Certains consortiums ne sont présents qu’au début alors que d’autres domineront le système par la suite. Un schéma de plantation classique inclura les plantes les unes à la suite des autres, des premières étapes de la succession, jusqu’aux dernières. Un schéma de plantation est complexe car il doit prendre en compte la vision future de la ferme. Il faut la créer de façon à optimiser et répartir dans le temps des vagues de productions, en commençant par exemple par les récoltes de légumes, puis plus tard de fruits, et enfin de bois. Chaque vague représente la maturation d’un autre consortium.. Comme il a été dit plus haut, certaines plantes seront cultivées pour être récoltées alors que d’autres ne seront cultivées uniquement qu’en prévision de les tailler et faire avancer le système dans la succession écologique.
L’agriculture syntropique peut être utilisée pour régénérer des terres dégradées, que l’on pourrait qualifier de presque « mortes », ou améliorer une exploitation déjà existante. On peut aussi l’utiliser pour transformer une jungle en une forêt comestible. Ce livret se focalisera uniquement sur comment utiliser l’agriculture syntropique dans une exploitation agricole.
L’agriculture syntropique reconnait qu’une exploitation et une forêt vierge peuvent différer en termes de vitalité. Mais tout n’est jamais blanc ou noir. En lisant ce livret, vous apprendrez à reconnaître à quel niveau de la succession écologique se trouve une parcelle, et quelles sont les stratégies et actions à entreprendre pour l’aider à aller de l’avant.
Ces principes ont été découverts et explicités par Ernst alors qu’il observait avec attention la nature, et qu’il apprenait les techniques d’agro-foresterie traditionnelle des peuples indigènes du Brésil. Étonnamment, Ernst commença sa carrière dans le génie génétique, dans le but d’obliger la nature à suivre les ordres des Hommes. Il arriva finalement à la conclusion que la nature est trop intelligente et que c’est l’Homme qui devrait s’adapter et apprendre d’elle, et pas l’inverse.
Ernst a sa façon d’expliquer les choses, détaillée et logique, et son approche fonctionne même là où bien d’autres échouent, mais il est important de rappeler que ce ne sont tout de même que des suppositions faites par l’esprit d’un homme capable d’observer la nature et d’en tirer des applications pratiques. La science et la connaissance derrière l’agriculture syntropique est encore à construire.
Ce qui rend l’agriculture syntropique intéressante est son haut niveau de résilience et de durabilité. Après chaque récolte, la terre est plus riche qu’auparavant. Certaines personnes peuvent erronément penser que l’agriculture conventionnelle est elle aussi auto-suffisante. On a l’impression que tout pousse sur le sol de toute façon, n’est- ce pas ? C’est faux. Les agriculteurs conventionnels comptent sur l’utilisation intensive de fertilisants, herbicides et pesticides, ainsi que d’énergies fossiles alimentant des machines agricoles massives pour travailler le sol. Même la plupart des agriculteurs en agriculture biologique comptent sur de nombreux intrants externes.
L’agriculture syntropique atteint les mêmes, voire de meilleurs rendements sans pour autant avoir besoin de ressources extérieures à la ferme. Cela remet souvent en question le concept de durabilité chez la plupart des gens. Ce qui est incroyable à propos de cette forme d’agriculture est qu’elle va plus loin que la simple auto- suffisance. La ferme va même jusqu’à produire en abondance. Il existe des études parlant de récoltes de 40 tonnes/hectare/an1, alors que les meilleures monocultures se targuent seulement de récoltes plafonnant de 11 à 15 tonnes/hectare/an.
Ce qui est encore plus surprenant est de se dire que l’agriculture conventionnelle mène à la pénurie. Comment cela peut-il être possible ? Plusieurs études montrent que même avec l’utilisation de tous ces intrants externes la qualité du sol continue de se dégrader avec le temps2. Après la lecture de ce livret, nous espérons que les raisons qui font que l’agriculture syntropique fonctionne là où l’agriculture conventionnelle échoue se révéleront claires pour vous.